Face à ce qui nous a été demandé : « risquer une expression sur la radicalité évangélique dans la vie laïque à travers les conseils évangéliques, quelles formes cela prend dans la vie de tous les jours ? »  ma première réaction a été de me dire que l’angle d’approche n’était pas d’abord le célibat même si je crois profondément que mon appel passe par ce chemin et si je crois aussi profondément que le célibat à la suite du Christ peut avoir une fécondité.  La radicalité évangélique n’est pas d’abord liée à un état de vie : Des couples que nous côtoyons, des femmes seules avec des enfants ont aussi une recherche de radicalité évangélique, parfois dans des conditions très difficiles. La radicalité évangélique n’est pas non plus du côté des réponses que je donne dans le quotidien ce sont plutôt des balbutiements même si le désir de radicalité reste présent.

La radicalité n’est pas de notre côté mais du côté du Christ :  Seul le Don du Christ est radical, un don à accueillir à travers, la prière, la rencontre de l’autre, nos fraternités. Un don qui nous rejoint à la racine de notre être : racine et radicalité ont la même étymologie. Un Don qui travaille l’humanité de l’intérieur, qui fait de tout homme le Temple de l’Esprit et qui nous ouvre à une autre radicalité : Celle du caractère sacré de l’Homme, de tout Homme, image de Dieu et temple de l’Esprit. Celle qui fait dire à Jésus : Ce que vous faites au plus petit d’entre les miens, c’est à moi que vous le faites. Celle qui fait dire aussi les paroles que l’on trouve dans Matthieu 25 : « J’ai eu faim et vous m’avez donné à manger » etc.

Immergés dans la vie des hommes par notre appel, il me semble que nous sommes invités à tenir particulièrement ces deux dimensions de la radicalité en même temps. Elles sont présentes dans le mystère pascal et la phrase de Véronique Margron «rester collés au mystère pascal dit quelque chose de notre manière d’être au monde » est  très éclairante. Se laisser travailler au plus profond par le don du Christ pour être mis en capacité d’accueillir Sa Vie au cœur de l’humanité, en chaque personne, en chaque groupe humain et participer avec d’autres à tous ces lieux où quelque chose du passage de la mort à la vie se joue que ce soit sur le plan économique, social culturel, politique, que ce soit dans la construction des personnes.

Pour moi ça me renvoie à un terrain précis, limité, mais où je sens avoir à m’enfoncer de plus en plus : celui des banlieues où il y a des enjeux du vivre ensemble, des enjeux dans le combat entre déshumanisation et humanisation à travers toutes les formes de précarisation ou de violences mais aussi de solidarité, d’accueil de l’autre. Un terrain où d’autres sont à l’œuvre aussi dans les quartiers, les réseaux associatifs, les écoles, d’autres pour qui j’ai à rendre grâce.

Pour d’autres membres d’instituts ce seront d’autres terrain. On découvre en commun (et nos fraternités sont là pour nous y aider à travers les partages de vie) que plus on cherche à entrer en profondeur dans une humanité, plus on est renvoyé à l’accueil du don du Christ et plus on cherche à contempler la vie du Christ plus on est renvoyé à une ouverture à  l’humain, même si ça se vit avec beaucoup de  ratés.

Comment dans cet accueil du don du Christ à travers le mystère pascal qui ouvre en nous un chantier de conversion, les conseils évangéliques sont un peu une boussole qui nous aide à essayer de suivre le Christ au plus près ?

Ils se sont exprimés sous la forme des 3 vœux. Suivre le Christ chaste, pauvre et obéissant. Il faudrait peut-être dire d’abord ou aussi fraternel et mettre chasteté, pauvreté, obéissance au service de la recherche de fraternité dans notre monde. En tout cas ils touchent en nous des dimensions fondamentales pour toute personne dans la relation aux autres et à soi-même, dans la relation aux biens et dans la relation au pouvoir. Ils rejoignent le chemin des béatitudes. Les conseils évangéliques sont pour tous mais chaque appel spécifique les exprime avec des accents singuliers

La chasteté du Christ dans l’Evangile m’invite à regarder comment il se lie aux personnes qu’il rencontre ou qui le sollicite. Elle m’invite à regarder ma vie concrète à entendre « ne te dérobe pas à ton semblable » de l’ancien testament, ce qui dans la rencontre des personnes malmenées par la vie n’est pas facile, et en même temps à regarder si ma manière de me lier à eux fait grandir la liberté en eux et en moi. Et là dessus en fraternité on a besoin de s’entraider à le vérifier. Ce n’est jamais gagné ni pour l’un ni pour l’autre aspect.

Par le célibat, dans la vie ordinaire de tout le monde, sans vie communautaire, nous sommes, me semble t’il, appelés à signifier fortement (d’autres signifieront autre chose, car chaque vocation a des accents spécifiques) que notre liberté ne nous appartient pas mais qu’ elle doit nous permettre de prendre des risques au service d’une fraternité sans exclusive (ce qui n’exclut évidemment pas le discernement). Personnellement, ces dernières années, ayant beaucoup côtoyé l’angoisse des personnes sans papiers je suis très interpellée par ces deux aspects : oser prendre des risques pour la fraternité entre les hommes et une fraternité sans exclusive.

La pauvreté du Christ m’invite à m’interroger si la croissance en humanité, celles des autres et la mienne est vraiment le bien le plus précieux pour moi ; plus précieux que les biens matériels. Elle m’incite aussi à regarder dans ma vie de laïque où j’ai un certain nombre de biens à ma disposition (appartement, voiture, livres, etc.) : quel usage j’en fais et pour qui ? Elle m’incite à regarder si j’en suis « gérant » pour le bien d’autres personnes où si je les réserve à mon usage personnel.   Dans une société où l’avoir est si important pouvoir regarder dans une fraternité chrétienne si je possède des biens où s’ils me possèdent n’est pas anodin y compris par rapport à notre manière d’être citoyen

L’obéissance du Christ à son Père me pousse à me demander si dans le concret de mes journées et dans les événements imprévus de la vie qui me bousculent si j’ai à cœur de mettre au centre de ma vie l’unique commandement : « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés

Je crois que les conseils évangéliques dans une vie laïque aussi sont un chemin de dépossession pour que le Christ trouve toute sa place en nous et je crois aussi que le célibat qui nous fait expérimenter une croissance de vie à travers un manque nous invite à croire d’autant plus qu’il y a une croissance de vie possible en tout homme quelles que soient ses blessures.

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