Discours d’Ouverture au IIe Congres Mondial des Instituts Séculiers
Card. Eduardo Pironio
(25 août 1980)
Chers amis,
1. Ceci veut être une simple parole d’espérance dite par quelqu’un qui essaie de bien vous connaître et qui vous aime profondément. Cela est dit aussi par celui qui – au nom du Pape Jean-Paul II – a le privilège et la responsabilité de vous servir. Permettez-moi de vous saluer avec les paroles que saint Paul adressait aux Philippiens: “A vous grâce et paix de par Dieu notre Père et le Seigneur Jésus-Christ. Je rends grâce à mon Dieu chaque fois que je fais mémoire de vous dans mes prières car je me rappelle la part que vous avez prise à l’Évangile, depuis le premier jour jusqu’à maintenant” (1,2-5).
2. Votre Congrès s’ouvre sous l’inspiration de l’Esprit Saint et la protection de Marie, modèle de consécration séculière, précisément en un moment tout à fait privilégié pour la mission de l’Église: annoncer la Bonne Nouvelle de Jésus aux pauvres. Le temps que nous vivons se caractérise par un monde qui a faim de la Parole de Dieu, qui a besoin de la présence transformatrice de l’Église, qui demande à l’Église quelle est la raison de son espérance, qui interroge l’Église sur la vérité et l’amour, sur la justice et la paix, sur la liberté et la communion. Le monde met au défi l’Église dans ce qui est sa vie et son essence: la claire transmission de la Bonne Nouvelle de Jésus pour la conversion des cœurs et la construction d’une société nouvelle.
3. C’est ici précisément que s’insère dans le mystère de l’Église-communion, le ministère providentiel laïc des Instituts séculiers. L’ambition de l’Église n’est pas comme le dit si bien “Gaudium et spes” (3) une ambition terrestre; elle veut seulement continuer, sous l’impulsion de l’Esprit Saint, l’œuvre du Christ qui est venu dans le monde pour rendre témoignage de la vérité, pour sauver et non pas pour juger, pour servir et non pas être servi.
4. Permettez-moi, au commencement de ce congrès, que je juge d’importance fondamentale pour le futur des Instituts séculiers (pour leur vitalité intérieure, pour l’efficacité de leur mission et pour l’indispensable éveil de nouvelles vocations), de vous rappeler trois choses:
• la fidélité à votre propre identité de laïcs consacrés;
• le sens ecclésial de votre vie et votre mission d’évangélisation;
• l’urgence d’une vie profonde dans le Christ, l’Envoyé du Père et le Sauveur des hommes.
I – Fidélité à votre propre identité
5. Soyez pleinement vous-mêmes: ne craignez pas de perdre votre véritable identité de laïcs si vous vivez radicalement dans le monde la liberté intérieure et la plénitude de l’amour que vous donnent les conseils évangéliques.
6. La consécration ne vous retire pas du monde, elle vous y insère plus profondément d’une manière nouvelle, dans le Christ du mystère pascal, vivant avec une plus grande maturité et totalement la consécration essentielle du baptême. Vivre à fond le baptême, pour un laïc consacré, c’est se compromettre d’une nouvelle manière à être, dans le monde d’aujourd’hui, une “lettre du Christ” “écrite non pas avec de l’encre, mais avec l’Esprit du Dieu vivant, non sur des tables de pierre mais dans la chair, c’est-à-dire dans les cœurs” (2 Co 3,3).
7. Soyez fidèles à votre sécularité consacrée, c’est-à-dire vivez la parfaite unité de cette vocation originale et unique dans l’Église. Ne vous croyez pas des laïcs diminués ou de seconde catégorie, des laïcs cléricalisés – mélange étrange et ambigu de laïcs et religieux. Non! Soyez pleinement laïcs, engagés directement dans la construction du monde dans un don radical à Jésus-Christ. Pour ce travail d’évangélisation étroitement lié à la promotion humaine intégrale et à la pleine libération dans le Christ, il est absolument indispensable que vous viviez avec générosité et d’une façon normale dans la vie quotidienne les deux moyens de cette unique et indivisible vocation: la consécration séculière. Pour cela vous avez été appelés et choisis, consacrés et envoyés.
II – Sens ecclésial de votre vie et de votre mission d’évangélisation
8. C’est l’Église entière qui a reçu, au cours de ces dernières années, le don fait par l’Esprit Saint, des Instituts séculiers, depuis Pie XII jusqu’à Jean-Paul II. Souvenez-vous tout spécialement des messages de Paul VI, messages de lumière, de chaleur humaine et d’un profond sens ecclésial.
9. La “consécration séculière” est une manière privilégiée d’être Église. Vous êtes le milieu privilégié de l’Église, spécialement dans l’Église conçue comme sacrement universel de salut. Les Instituts séculiers participent certainement à la sainteté de l’Église, pas à sa structure juridique mais à la vie essentielle de l’Église.
10. Il est nécessaire que les membres des Instituts séculiers vivent intensément le mystère de l’Église tant au niveau universel qu’au niveau particulier. I1 s’agit d’accueillir, d’aimer et d’assumer tous les problèmes, les espoirs, les urgences missionnaires des diverses Églises locales. La vitalité évangélisatrice d’un Institut séculier dépend de son sens profond et concret de l’Eglise.
11. D’où la nécessité de marcher – pour une fidèle transmission de la Bonne Nouvelle aux pauvres – en union avec vos pasteurs, en communion avec leurs directives et avec les exigences et les espérances de tout le peuple de Dieu.
12. Les Instituts séculiers constituent une manière providentielle d’être Église, ce qui suppose deux choses: qu’ils reconnaissent et respectent leur identité spécifique, et que leur mission se réalise de l’intérieur de l’Église – essentiellement communion et participation – envoyée par Jésus-Christ dans le monde pour annoncer la Bonne Nouvelle aux pauvres.
III – Vie profonde dans le Christ, l’Envoyé du Père
“Je suis crucifié avec le Christ; ce n’est plus moi qui vis, c’est le Christ qui vit en moi” (Ga 2, 19-20).
13. La vie et la croissance d’un Institut séculier dépend surtout de deux choses: de sa réalité historique (i.e. de son engagement réel dans la vie de la société: famille, travail, culture, société et politique) et de sa profonde union à Jésus-Christ, ce qui, pour un membre d’Institut séculier, suppose de suivre totalement et radicalement le Christ par les conseils évangéliques (sans quitter pour cela le contexte historique du monde), et une progressive configuration au Christ qui se fait par l’oraison, la participation à la Croix et l’accomplissement quotidien de la volonté du Père.
14. L’oraison se fait toujours dans le contexte “séculier”, et non religieux ni monacal, mais authentique et toujours dans la communion concrète et parfaite avec la volonté du Père. Cela se fait de l’intérieur du monde et dans les conditions normales de la vie. Cela suppose des moments difficiles et austères de séparation et de désert. Un laïc engagé ne peut vivre dans un climat permanent de contemplation qu’à partir de temps forts d’oraison profonde.
15. Vivre dans le Christ pour la transformation du monde. Vivre du Christ par la claire et forte prophétie de l’homme: Jésus, notre “joyeuse espérance” est né.
Conclusion
16. Mes chers amis: en commençant vos travaux, regardez le monde dans lequel vous êtes intégrés – comme lumière, sel, ferment – et qui vous interpelle. Regardez ce monde avec réalisme et espérance.
17. Écoutez et recevez le Christ qui vous a choisis, consacrés et envoyés. Écoutez le Christ en esprit de pauvreté et avec disponibilité. Aimez l’Église et faites connaître au monde sa présence.
18. Soyez sincères dans l’amour, joyeux dans l’espérance, forts dans les difficultés, persévérants dans la prière (Rm 12. 9. 12).
19. “Que le Dieu de la paix vous consacre pleinement” (1 Th 5,23) et que vous accompagne toujours Marie, la Vierge de la route et de l’espérance, de la fidélité et du service, du don total au Père par le Christ dans le coeur de l’histoire.
Rome, le 25 août 1980